Armées de gants de boxe, d’arcs et de flèches, de lances tranchantes ou bien sonnant des trompettes solennelles, les femmes représentées par Amy Bravo ont des airs de divinités guerrières. D’une toile l’autre, tantôt leurs serpents et leurs fouets les apparentent aux Érinyes, déesses vengeresses de la mythologie grecque, tantôt leurs ailes et leurs destriers les approchent des Valkyries, cavalières célestes chez les Nordiques – tandis que certaines, avalant le soleil, crachant du feu ou décuplant leur visage, pourraient bien incarner les déesses Oya et Oxum, maîtresses des éléments dans les croyances yorubas.

Depuis plusieurs années déjà, la jeune artiste américaine, née en 1997 dans le New Jersey, passe par le dessin, la peinture et la sculpture pour explorer ses racines cubaines, cherchant à mettre en forme sa vision du pays de ses ancêtres. En résulte une île fantasmée chargée de mysticisme, où coexistent taureaux, coqs, chevaux et ces viriles amazones. Des figures que l’on pourrait dire « queer », en ce qu’elles existent dans un entre-deux, affranchies des canons qui ont si longtemps présidé à l’écriture artistique du corps féminin en Occident. Des figures capables d’incarner physiquement l’ambivalence entre force et vulnérabilité, de fusionner avec l’animal comme de livrer leur corps à la procréation.

Ces personnages ne sont pas les seuls à sortir du cadre chez Amy Bravo, dont l’imaginaire déborde, littéralement, de la toile. Ici, une main brandissant un drapeau empiète sur le mur ; là, un lasso se prolonge en corde au-dessus du cadre. Dans ses œuvres, l’artiste agrège volontiers étagères récupérées, niches à oiseaux ou encore crânes bovins, brode du fil rouge sur du tissu et modèle même des volumes en mousse ou en résine époxy. Le foisonnement de l’esprit se concrétise dans des formes vivantes mais éthérées. On ressent l’influence de Belkis Ayón, de Betye Saar et de Kiki Smith – toutes, à leur manière, magiciennes de l’art.

Comme celles de ses aînées, les œuvres denses d’Amy Bravo ne semblent jamais saturées ni agressives, grâce à une mise en scène aérée et des poudres de pigments diluées dans la surface écrue, qui baignent les ensembles de teintes douces et lumineuses – mais aussi par la finesse et la simplicité de son trait, et la quasi absence de relief, qui reviennent à l’essence du dessin, pratique séculaire et universelle par excellence.

À la galerie Semiose, Amy Bravo présentera bientôt sa deuxième exposition personnelle en France, dévoilant les nouvelles aventures de ses héroïnes. Telles les arcanes du tarot de Marseille, celles-ci y composeront un nouveau puzzle, pour mieux déchiffrer son île intérieure.

Crédits

Amy Bravo est représentée par Semiose (Paris) et Swivel Gallery (New York).

Son exposition personnelle « I’m Going There With You » sera visible à la galerie Semiose du 16 mars au 27 avril.

Journaliste et critique d’art, Matthieu Jacquet écrit sur l’art et la mode pour Numéro et Numéro art.

Légende de l’image en haut de page : Amy Bravo, The Strongest Alive or Dead, 2024. Photographie de Pauline Assathiany. Avec l’aimable autorisation de Semiose, Paris.

Publié le 14 mars 2024.