<p>« Mon travail met en avant les sujets – hommes et femmes – méconnus d’une histoire noire planétaire », déclare le lauréat du soutien à la production du Groupe Galeries Lafayette</p>

Propos recueillis par Ingrid Luquet-Gad

Comment l’artiste Akeem Smith a créé une archive de la culture dancehall

<p>« <em>Dovecote</em> (2020) est une vidéo et une sculpture dont le titre provient d’un cimetière jamaïcain [où l’artiste, né à New York, a grandi]. C’est une œuvre que j’ai créée assez rapidement. J’ai été confronté à une expérience de mort imminente qui m’a fait réfléchir à mon existence. Dans ma tête, j’ai commencé à planifier mes propres funérailles, et c’est ainsi qu’est née Dovecote. »</p>
<p>« L’exposition “One Last Cry” à Lafayette Anticipations présente l’œuvre avec les sculptures réalisées pendant que j’y étais en résidence. Les nouvelles pièces peuvent être perçues comme des urnes, tandis que l’installation elle-même fonctionne comme une tombe au sein de laquelle les visiteur·euse·s peuvent entrer. »</p>

<p>« Depuis 2008, je rassemble une archive de la culture dancehall. Tout a commencé lorsque j’ai simplement voulu préserver les histoires de ma famille. Celle-ci possédait tout un tas de photos et de films provenant de diverses fêtes, réceptions et événements. Peu à peu, j’ai commencé à contacter de manière informelle les vidéastes et photographes basé·e·s en Jamaïque qui avaient pris des photos lors de ces rassemblements. Je travaillais encore dans la mode et pour quelque temps, c’est resté pour moi un loisir onéreux. »</p>
<p>« Au début, ce contenu était spécifique au dancehall. Je collectais uniquement les supports qui avaient trait à cette culture-là : les journaux, les cassettes VHS, les DVD et les photos, des années 1980 aux années 2000. Puis, cela a évolué pour inclure d’autres “archives de l’ombre”, c’est-à-dire les cultures visuelles de communautés plus restreintes. Par exemple, les Panaméen·ne·s se distinguent souvent par un style très spécifique, excentrique et tape-à-l’œil, en particulier dans les bijoux. Toutes ces sous-cultures sont reliées et forment quelque chose que je décrirais comme une “esthétique visuelle transatlantique”. »</p>

<p>« La première fois que j’ai moi-même produit quelque chose à partir de ce contenu c'est lorsque j’ai réalisé un court extrait vidéo. Il s’agissait d’une invitation passée en boucle pour une exposition à la galerie de l’artiste Terence Koh en 2009 à New York. Dix ans après, j’ai réutilisé la vidéo pour ma première exposition solo, « No Gyal Can Test » (2020), à Red Bull Arts à New York. J’avais rencontré Maxwell Wolfe [le curateur et fondateur de l’espace en 2013, qu’il a dirigé jusqu’en 2020], et l’idée initiale était de sortir un livre. Un an après, il m’a proposé de faire une exposition à la place. »</p>
<p>« Depuis un certain temps, en effet, je collectais des matériaux physiques. J’étais très intéressé par les architectures de la débrouille, et j’emportais ce qui me tombait sous la main dans la rue ou les cimetières – surtout du fer forgé. En Jamaïque, j’avais à disposition un lieu de stockage, bien que je ne sache pas encore vraiment ce que je voulais en faire. Je n’avais pas planifié de me lancer dans une approche multidisciplinaire, jusqu’à ce que je réalise que tout pouvait cohabiter. Aujourd’hui, vous pouvez voir comment j’ai utilisé une partie de ce matériau pour créer <em>Dovecote</em>. »</p>

<p>« La “momification de la culture” pourrait être perçue comme une thématique générale de mes œuvres. La Jamaïque est une culture funèbre, où la mort est très présente et, dans une certaine mesure, également aimée. Je voulais refléter cela en exprimant les dimensions métaphysiques et intangibles qui constituent une personne ou un peuple. Le statut d’archives extra-institutionnelles des œuvres est celui auquel j’attache le plus d’importance. Il n’y a aucun autre endroit où vous pourriez aller voir ce genre de documentation en soi, pas même en Jamaïque. Lorsque je présente l’exposition en France, je me demande aussi quelles autres connexions historiques je peux établir avec l’œuvre. Finalement, Dovecote met en avant les sujets – hommes et femmes – méconnus d’une histoire noire planétaire. »</p>
<hr>
<p>« One Last Cry »<br>Du 18 octobre au 20 novembre<br>Lafayette Anticipations, Paris</p>
<p>Akeem Smith est représenté par <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/36065/Heidi" target="_blank"><strong>Heidi </strong></a>(Berlin).</p>
<p>Le groupe Galeries Lafayette soutient le secteur Galeries Émergentes de Paris+ par Art Basel, pour lequel la Fondation récompense chaque année un·e artiste. L’artiste bénéficie de la production d’une œuvre à la Fondation.&nbsp;</p>
<p>Le·la prochain·e lauréat·e du soutien à la production du groupe Galeries Lafayette sera sélectionné·e par un jury international de professionnel·les constitué de : Ruba Katrib, directrice du pôle programmation au MoMA PS1 ; Diana Campbell Bétancourt, directrice artistique de la Samdani Art Foundation au Bangladesh et conservatrice en chef du Dhaka Art Summit ; Akeem Smith, artiste résident à Lafayette Anticipations et lauréat 2022 du soutien à la production ; Rebecca Lamarche-Vadel, directrice de Lafayette Anticipations, et Guillaume Houzé, président de Lafayette Anticipations.</p>
<p>Ingrid Luquet-Gad est une critique d’art et doctorante basée à Paris. Elle est en charge de la rubrique art des <em>Inrockuptibles</em>, membre du comité de rédaction de <em>Spike Art Magazine</em> et correspondante pour <em>Flash Art</em>.</p>
<p>Publié le 11 octobre 2023.</p>
<p>Légende de l'image en pleine page :&nbsp;Akeem Smith, <em>Dovecote</em>, 2020. Vue de l’exposition « No Gyal Can Test », Red Bull Arts, New York, 2020. Avec l'aimable autorisation de l’artiste et de la Galerie Heidi. © Akeem Smith.</p>

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