<p>À la recherche d’une nouvelle génération de peintres, le galeriste autrichien s’est tout de suite tourné vers l’œuvre atypique de la jeune artiste&nbsp;</p>

Chloë Ashby

Les horizons picturaux de Mandy El-Sayegh et Thaddaeus Ropac

<p>En 2017, Thaddaeus Ropac ouvrait son premier espace londonien. L’hôtel particulier de Mayfair et ses cinq étages fait partie des six espaces dont dispose la galerie. C’est avec Julia Peyton-Jones, ex-directrice des Serpentine Galleries, qui venait de rejoindre l’équipe, que Thaddaeus Ropac engagea alors une réflexion sur ce que pouvait encore apporter la peinture de nos jours. « Nous nous sommes intéressé∙e∙s aux artistes dont le travail à partir de ce medium offrait quelque chose de réellement novateur », explique-t-il depuis Salzbourg. « Nous avions beaucoup d’artistes sur notre liste, donc cela a pris du temps. Mais le premier studio que j’ai visité fut celui de Mandy. »</p>

<p>Née en Malaisie en 1985 et basée à Londres, Mandy El-Sayegh crée des tableaux, des vitrines, des installations, des performances et de l’art vidéo. Elle associe, dans son travail, de fines couches de peinture à des collages de textes et d’images. « Je me définis en tant que peintre pour me sentir plus légitime », dit l’artiste en souriant. « C’est la chose la plus tangible. Mais les installations comme les performances peuvent vraiment prendre toutes les formes et être présentées n’importe où. » L’artiste s’exprime depuis son studio, au milieu de feuilles de papier imprimées et de pages manuscrites. Sortis de leur contexte d’origine, ces extraits de journaux, de revues, de cartes, de publicités et de livres d’anatomie prennent un sens nouveau. Pour Mandy El-Sayegh, les rassembler est une manière d’aborder l’information. « Je traite le texte comme un matériau », ajoute-t-elle. « Il est souple et gluant – comme de la peinture. »</p>

<p>Les surfaces peintes de Mandy El-Sayegh ont quelque chose de charnel. Elle les appelle des « peaux ». Bien qu’elle soit allée à l’encontre des aspirations de ses proches lorsqu’elle a choisi d’étudier l’art &mdash; « Ma famille est dans la médecine, la logique, les mathématiques. » &mdash;, c’est sur le corps humain que porte son travail. Elle aime y intégrer le <em>Financial Times</em>, en raison du ton rose pâle de ses pages. À celui de collage, elle préfère le terme médical de « suture », signifiant la réunion de deux parties de chair coupées, pour qualifier ce travail. Dans ses installations in situ, elle enduit des textes disposés sur les murs et sur le sol d’une couche de latex. « Quand j’ai un doute, je me sers toujours de mon microscope pour examiner la forme », ajoute-t-elle. Son œuvre est physique et viscérale &mdash; « un assemblage chirurgical de différents éléments », définit-elle.&nbsp;</p>

<p>Thaddaeus Ropac se souvient très bien de sa première rencontre avec Mandy El-Sayegh. Il fut impressionné par la manière dont elle repoussait les limites : entre ses mains, un tableau n’est pas simplement une œuvre sur un mur, mais une partie de ce mur, ou bien quelque chose sur lequel on marche, déroulé sur le sol comme un tapis. Pour Mandy El-Sayegh, Thaddaeus Ropac a été celui qui lui a offert sécurité et confort dans une période marquée par des bouleversements physiques et émotionnels. « Je venais d’être expulsée de mon studio et je le vivais assez mal », confie l’artiste. « Avec Thaddaeus, j’ai eu le sentiment d’être vue et entendue. Toute l’équipe m’a accueillie, je me suis sentie protégée, comme dans un sanctuaire. »</p>

<p>C’est en 2020, dans le cadre d’une exposition collective, que Mandy El-Sayegh présente pour la première fois son travail au sein de la galerie. Née des recherches de Thaddaeus Ropac et Julia Peyton-Jones, « A Focus on Painting » a réuni quatre peintres qui, à différentes étapes de leur carrière, abordent le médium de manière innovante et stimulante. Aux côtés d’Alvaro Barrington, de Rachel Jones et de Dona Nelson, Mandy El-Sayegh disposait de son propre espace pour explorer ce que pouvait être la peinture. Le sol était recouvert de journaux sérigraphiés et de fragments de textes provenant des carnets de son père. S’inscrivant dans sa série <em>Net-Grid</em> (2010-en cours), ces éléments réapparaissaient sur les murs, mais couverts cette fois d’une fine grille dont la délicatesse avait quelque chose des <em>Grids</em> d’Agnes Martin.</p>

<p>« Nous avons actuellement une exposition dans l’une de nos galeries parisiennes, intitulée “Saturation” », explique Thaddaeus Ropac. « Nous avons invité huit femmes artistes à participer, et Mandy a répondu en occupant et en redéfinissant l’espace. » Après avoir couvert trois murs avec ses feuilles de papier journal sérigraphiées&nbsp;–&nbsp;sa signature&nbsp;–, Mandy El-Sayegh a accroché une peinture sur un mur et en a installé une autre sur le sol, créant ainsi un point d’observation en immersion. « Cela change l’angle sous lequel vous voyez le travail et vous attire. Cela vous permet de vous sentir davantage impliqué∙e. »</p>

<p>« Pour moi, c’est une cellule éclatée », explique Mandy El-Sayegh, qui, dans son travail de performance, explore la manière dont le corps bouge et s’exprime dans des espaces circonscrits. Le lieu mis à disposition par Thaddaeus Ropac a à peu près la taille d’une cellule d’isolement dans une prison&nbsp;–&nbsp;une référence aux restrictions sociétales. « Dans toutes mes performances, j’aborde les questions d’accès, de lisibilité et de légitimité », ajoute Mandy El-Sayegh. « Qu’est-ce qui vous rend légitime face aux institutions ? C’est la peinture. Mais qu’est-ce qu’un tableau ? Pour moi, c’est une tache. »</p>

<p>Consciente d’être à cheval entre deux mondes très différents – celui du marché de l’art à Mayfair et celui dans lequel elle a grandi, avec un père originaire de Gaza et une mère née dans un petit village de Malaisie –, Mandy El-Sayegh veut créer une œuvre qui reflète les disparités et qui ne soit pas figée. « Ce bond en une génération est d’une telle ampleur que je dois le retranscrire dans ma pratique », dit-elle. Elle doit aussi faire confiance à sa galerie. « C’est très sensible », confie Thaddaeus Ropac à propos de la relation entre l’artiste et le galeriste. « Chaque artiste existe dans son propre univers et a des besoins différents et, en tant qu’équipe, nous nous efforçons de les comprendre. Les relations varient, mais notre souhait reste toujours de pouvoir construire une carrière sur le long terme – il ne s’agit pas seulement de monter une exposition, c’est presque la partie la plus facile. »</p>

<p>Le lieu du prochain projet de Mandy El-Sayegh, le centre Pompidou à Paris, ne ressemble à aucun de ceux qu’elle a jusqu’alors investis : il est plus traditionnel, sombre et dramatique, avec une scène et un auditorium. Présentée dans le cadre du festival Move, cette performance est une collaboration avec la chorégraphe Alethia Antonia et la compositrice Lily Oakes, avec qui l’artiste a travaillé lors du London Gallery Weekend, au printemps dernier. On y verra Mandy El-Sayegh dans une représentation statique de la figure du peintre, brouillant les plans, tandis que d’autres corps plus actifs évoluent à l’intérieur de l’espace. Il y aura une installation peinte au sol et, éventuellement, une projection de corps superposés sur une grille. « Comme pour toutes mes performances, je veux que vous ayez l’impression d’être dans la tête de quelqu’un qui vit le confinement d’une manière ou d’une autre », explique-t-elle. « Donc, je réfléchis toujours à ce que les espaces signifient pour les gens et qui peut y accéder, et à ce qu’est un geste pictural. »</p>

<p>Le galeriste ne peut que se réjouir de voir sa protégée exposée dans le plus prestigieux musée d’art contemporain de Paris. Après tout, la ville est depuis longtemps au centre de son activité. Sept ans après avoir fondé la galerie Thaddaeus Ropac à Salzbourg en 1983, il a ouvert un espace dans le Marais, à quelques pas du centre Pompidou. En 2012, il inaugure un deuxième espace parisien dans une ancienne chaudronnerie située à la périphérie nord-est de la ville. « Paris était l’endroit où chaque artiste voulait être au début du siècle dernier, puis New York a pris le relais », commente-t-il. « Le début de ce siècle a été dominé par Londres, avec ses artistes, ses studios et ses musées internationaux ; La Tate Modern a tout changé. » Cependant, Thaddaeus Ropac pense qu’aujourd’hui, Paris récupère ce qu’elle a perdu. « Le Brexit a joué un grand rôle, mais Paris était prête et avait été modernisée avec de nouvelles institutions telles que la Fondation Louis Vuitton et la Bourse de Commerce. »</p>

<p>Quel avenir pour la galerie ? « Nous travaillons à des projets, mais nous voulons que la prochaine étape demeure une surprise », annonce Thaddaeus Ropac avec une lueur dans les yeux. Quant à Mandy El-Sayegh, au-delà de son projet au centre Pompidou, elle espère continuer à réaliser des œuvres accessibles à tous, que tout le monde puisse expérimenter, au-delà des différences sociales et culturelles. « Une œuvre qui entre en résonance avec leur propre vécu », déclare l’artiste.</p>

<p><a href="https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/FogPB0W">Festival Move,&nbsp;«&nbsp;Culture club – Corps collectifs&nbsp;»<br /></a>Du 6 au 23 octobre 2022,&nbsp;Centre Pompidou, PariMandy El-Sayegh, <em style="background-color: initial;">En masse</em>, performance (création), samedi 22 octobre à 17 heures dans la&nbsp;Petite Salle (accès libre)</p><p>Mandy El-Sayegh participe à l'exposition collective&nbsp;«&nbsp;<a href="https://ropac.net/exhibitions/626-group-exhibition-saturation/">Saturation</a> »&nbsp;à la galerie Thaddaeus Ropac Paris Pantin, jusqu'au 24 septembre 2022.</p><p>Chloë Ashby est une auteure primée spécialisée en art, basée à Londres. Son premier roman, <em>Wet Paint</em>,&nbsp;a été publié en avril 2022.</p><p>Traduction&nbsp;: Henri Robert</p><hr /><p>Légende des images en pleine-page&nbsp;:</p><p>Mandy El-Sayegh, Four Species (détail d'installation), 2019, Biennale Matter of Art, Prague, 2022. Photographie de Jonáš Verešpej. Avec l'aimable autorisation de l'artiste et de la&nbsp;Biennale Matter of Art, Prague.<br />Mandy El-Sayegh, studio detail, 2021. Photographie de Damian Griffiths,&nbsp;avec l'aimable autorisation de l'artiste&nbsp;et de Thaddaeus Ropac, Londres, Paris, Salzbourg, Séoul.<br />Vue d'installation de l'exposition de&nbsp;Mandy El-Sayegh&nbsp;« Figure One&nbsp;», Galerie Thaddaeus Ropac, Paris, 2021-2022. Photographie de Charles Duprat.&nbsp;Avec l'aimable autorisation de l'artiste et de Thaddaeus Ropac, Londres, Paris, Salzbourg, Séoul.<br />Vue d'installation de l'œuvre&nbsp;de Mandy El-Sayegh&nbsp;<em>Four Species</em>&nbsp;(2022), Biennale Matter of Art, Prague, 2022. Photographie de Jonáš Verešpej.&nbsp;Avec l'aimable autorisation de l'artiste et de la&nbsp;Biennale Matter of Art, Prague.</p>

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When the Austrian gallerist set out to work with the next generation of artists tackling the medium, he went straight to El-Sayegh’s studio

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