Animaux en tout genre bénéficient d'un statut privilégié dans l'oeuvre de l'artiste américain, actuellement exposée au Musée de la Chasse et de la Nature

Ingrid Luquet-Gad

À Paris, Sean Landers libère ses bêtes

Un lièvre se tient là. Il nous fait face. Attentif, en alerte même. L’animal semble prêt à déguerpir au moindre bruit. La vivacité du petit mammifère est proverbiale : ne dit-on pas « peureux∙se comme un lièvre » ? Ce rongeur, peint par Sean Landers en 2023, se trouve actuellement entouré d’autres animaux au cœur de Paris. Avec une extrême minutie, l’artiste américain né en 1962 a suivi le tracé de chaque poil du pelage brun et retranscrit le veinage nacré au creux des oreilles dressées. 
Depuis les années 1980, décennie surtout propice à l’art conceptuel, <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/8499/Sean-Landers" target="_blank">Sean Landers</a> pratique une peinture figurative à rebrousse-poil. Avec une érudition ludique et poignante, il puise à différentes traditions picturales de l’histoire de l’art européen. Dans son panthéon personnel figurent des artistes aussi divers que William Hogarth, Nicolas Poussin, Théodore Géricault ou Édouard Manet. Le plus souvent cependant, c’est son lien au surréalisme qui est souligné, et particulièrement à <a href="https://www.artbasel.com/catalog/artist/7987/Ren%C3%A9-Magritte" target="_blank">René Magritte</a>.

Ici, I Live – c’est ainsi que l’artiste a choisi de titrer son tableau – est un portrait en buste de facture relativement classique, exception faite du choix de personnifier un animal. Par une telle représentation, le sujet est magnifié en même temps qu’individualisé. Bien que ce type de représentation remonte à l’Antiquité, il répond à une certaine conception du monde qui provient de la Renaissance. En effet, la position du∙de la protagoniste fait implicitement écho à l’humanisme naissant de cette époque, qui place l’humain au centre du monde. On le pressent : lorsque Sean Landers peint un lièvre, le geste n’a rien d’anodin.
L’artiste a réalisé le tableau spécialement pour son exposition « Animal Kingdom » au Musée de la Chasse et de la Nature, qui réunit une trentaine de ses œuvres. Au rez-de-chaussée se trouve une sélection issue de l’une de ses séries culte. On y voit des animaux au pelage orné d’un motif tartan en pleine nature. Le parcours se poursuit au fil des deux étages dévolus aux collections permanentes, entamant un dialogue avec les animaux empaillés et autres artefacts cynégétiques. Plus précisément, le lièvre prend place dans la « Chambre de la Tique », nommée d’après le biologiste et philosophe Jacob Uexküll, qui fut l’un des premiers à étudier la perception non-humaine. Avec I Live, Sean Landers devient à son tour éthologue.

L’animal est perçu du point de vue de l’animal : l’anthropocentrisme a beau être hérité de la Modernité, l’époque actuelle exige de s’en défaire. La représentation hyperréaliste du protagoniste prend place sur le fond d’une forêt de bouleaux. Les troncs, incisés de messages en lettres bâtons et autres menus graffitis, se lisent alors comme les pages d’un journal intime. Après tout, contrairement aux humain·es, la forêt écoute sans juger.
En combinant la représentation en buste et le motif des troncs-phylactères, Sean Landers brosse le portrait psychologique de l’animal. Refusant de s’en tenir à la seule extériorité, les inscriptions à la première personne lui permettent de donner accès à son monde intérieur. Dans le cas spécifique de I Live, le sujet n’est pas plus disert. Le lièvre, en effet, n’est que pure existence ; il est coïncidence totale à l’instant. On lit par exemple, dans un phrasé bref qui traduit la nervosité : « Je n’entends que ce dont j’ai peur ». Ou plus loin : « Je connais uniquement ma destination » - comme des mantras, tirés de la sagesse intuitive des quadrupèdes. Notre lièvre ne se pose pas de questions : il va, vit et ne regarde jamais en arrière. C’est déjà toute une philosophie : l'existence est trop courte pour tergiverser ! 
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Sean Landers est représenté par&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1248/Petzel" target="_blank">Petzel</a>&nbsp;(New York),&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1164/rodolphe-janssen" target="_blank">rodolphe janssen</a>&nbsp;(Bruxelles),&nbsp;<a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1448/Taka-Ishii-Gallery" target="_blank">Taka Ishii Gallery</a>&nbsp;(Tokyo, Kyoto) et <a href="https://www.artbasel.com/catalog/gallery/1299/Timothy-Taylor" target="_blank">Timothy Taylor</a> (Londres, New York).
Sean Landers,&nbsp;I Live, 2023. Dans le cadre de l’exposition « Animal Kingdom », jusqu’au 10 mars au Musée de la Chasse et de la Nature à Paris. 
Ingrid Luquet-Gad est critique d’art et doctorante basée à Paris. Elle enseigne la philosophie de l’art à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Publié le 11 janvier 2024.
Légende de l'image de pleine page :&nbsp;Sean Landers,&nbsp;I Live, 2023 (détail).&nbsp;© L'artiste. Avec l'aimable autorisation de Petzel Gallery. Photographie par Christopher Burke Studio.

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Animals enjoy a special status in the American artist's works, currently on view at Musée de la Chasse et de la Nature

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